S’il est facile d’identifier des économies riches qui ont fini d’émerger et d’autres qui n’ont jamais émergé, le partage entre les deux n’est pas aussi clair! La notion d’économie ou de pays émergent est en effet remarquablement mouvante, que ce soit dans le discours public ou dans celui, plus spécialisé, des sciences économiques. La notion de pays émergent ne correspond à aucune définition économique précise, elle correspond plutôt à une notion assez floue qui peut varier d'un auteur à un autre et surtout dans le temps.
Néanmoins, on peut dire que l'expression «pays émergent» représente les pays en développement qui ne font certainement pas partie des pays les moins avancés (PMA). On peut aussi reconnaître quelques critères communs à l'ensemble des pays de ce groupe : IDH et PIB inférieur aux pays développés, croissance économique forte, part croissante dans l’économie mondiale… Il s’agit donc de pays qui ont tendance à voir plusieurs indicateurs (notamment économique) à la hausse de façon conséquente et qui s'approchent petit à petit du groupe des pays développés. Mais est-ce que le Maroc est un pays émergent? Le modèle de croissance mis en place depuis l’indépendance et qui a connu plusieurs évolutions a-t-il fini de faire émerger le Maroc? Qu’en est-il de l’évolution du PIB du Maroc ces dernières années? etc. Décryptage.
Maroc, pays émergent? Le développement de l’économie durant ces deux dernières décennies
La définition de pays émergent reste encore aujourd’hui assez ambivalente. Selon l’ONU, il s’agit des pays possédant un IDH aux alentours de 0,6, une espérance de vie de près de 60 ans. D’autres définissent les pays émergents comme des pays où les rendements des investissements sont supérieurs à la moyenne, des pays qui sont ouverts aux capitaux internationaux et aux échanges. La liste des pays auxquels s'applique le terme de «pays émergents» peut ainsi varier selon les sources et selon les époques. Parmi les critères d’émergence, les changements structurels sont souvent cités. Mais dans leur ensemble, les pays en émergence sont souvent ceux qui connaissent un accroissement de leur revenu par habitant et donc de l'augmentation de leur part dans le revenu mondial.
Avant l’avènement de la pandémie du Coronavirus (Covid-19), l'économie marocaine s'est caractérisée par une stabilité macro-économique et de faibles niveaux d'inflation, reposant principalement sur les exportations, un boom de l'investissement privé et du tourisme. Le Maroc a entamé depuis 2000 une politique ambitieuse de réformes économiques. Durant les deux dernières décennies, l’économie a été marquée par d’importantes transformations structurelles, qui se sont manifestées par des changements du rythme, et un nouveau palier de croissance semble être atteint. Sur la période 2003-2013 par exemple, la croissance s’est située en moyenne à 4,6 % par an, à comparer au taux de 3 % enregistré en moyenne entre 1992-2002, et ce, en dépit des contraintes inhérentes aux années de sécheresse (2005 et 2007) et aux perturbations au niveau international.
Si la politique nationale a engagé le pays dans la voie de la croissance, le Maroc reste très largement un pays agricole qui peine pourtant à développer son industrie même s'il constitue l'une des économies les plus diversifiées d'Afrique francophone. Le pays s'applique à favoriser une plus grande résilience de l'économie marocaine aux fluctuations agricoles. Ce plan de réformes n'a pas compromis les efforts des gouvernements successifs à redresser les comptes budgétaires et extérieurs. Le déficit budgétaire s'est constamment réduit depuis cinq ans pour atteindre 3,5 % du PIB en 2017. La dette publique atteint quant à elle 82 % du PIB en 2017. Malgré ces indicateurs encourageants, le taux de chômage peine à diminuer ; au contraire, il a dépassé la barre symbolique des 10 % en 2017 pour s'établir à 10,2 %, et touche principalement les jeunes (26,5 % des 15-24 ans). En 2018, le PIB du Maroc est de 120 milliards de dollars. Sur le plan économique Africain, le Maroc se classe 5e puissance économique derrière l'Afrique Du Sud, le Nigeria, l'Égypte et l'Algérie.
La Banque mondiale a publié en 2018 un rapport de suivi de la situation économique du Maroc mettant en exergue les lacunes du modèle de développement marocain en matière d'inclusion. La Banque mondiale propose ainsi au pays de s'orienter vers un modèle économique basé sur les exportations, dans lequel le secteur privé jouerait un rôle plus important en tant que promoteur de la croissance et de l'emploi.
Alors, le Maroc est-il un pays émergent?
Le Maroc a renoué avec la croissance économique depuis le début des années 2000, mais celle-ci reste très largement corrélée à de bonnes campagnes agricoles et à la conjoncture mondiale.
En 2016, le Groupe de recherche « Institut de l’Emergence » a publié son classement annuel des pays africains concernant l’émergence économique, et positionne le Maroc aux premiers rangs des pays africains les plus performants, en se classant parmi les pays émergents. Le classement est basé sur l’Indice synthétique d’émergence économique (ISEME) de 45 pays de l’Afrique, et se fonde sur quatre dimensions : la richesse inclusive, le dynamisme économique, la transformation structurelle, et la bonne insertion dans l’économie mondiale.
Selon toujours l’Institut de l’Emergence et plus récemment en 2021, le Maroc est l’un des principaux pays émergents africains qui connaissent une dynamique économique rapide à même de les hisser au statut de «pays émergés». Et malgré la crise sanitaire, le Maroc, tout comme l’Afrique du Sud et l’île Maurice, ont réussi à soutenir leur dynamique d’émergence.
Le centre de recherche Attijari Gloal Research (AGR) lui aussi souligne en effet que les impacts économiques du Covid-19 contrastent d’un pays africain à l’autre d’après une étude qu’ils ont publiée en 2020. Pour le Maroc, la facture économique du confinement est significative. En revanche, le plan de relance du Royaume est le plus ambitieux parmi ses comparables.
Dans son ouvrage intitulé «Le Maroc, quelles voies d’émergence?», et publié en 2020, le Docteur en Économie Tarik El Malki, Directeur de l’ISCAE Rabat et analyste au Centre Marocain de Conjoncture, souligne que la performance de la croissance du Maroc a été caractérisée par de fortes fluctuations. Les taux de croissance du PIB ont été particulièrement volatiles en comparaison avec d’autres pays en voie de développement et, à certains moments, inférieurs à ceux des pays les moins performants du continent. Par ailleurs, l’auteur souligne aussi que le modèle de développement actuel s’étiole fortement et a atteint ses limites, et cela malgré de réelles avancées à plusieurs niveaux. Il est alors question de mettre en place un nouveau modèle de développement qui doit être conçu comme un véritable projet de société multidimensionnel...
