En avril dernier, le Centre marocain
de conjoncture (CMC), un observatoire indépendant de l’économie marocaine qui
fait référence dans le Royaume, pronostiquait une contraction de la croissance
nationale de l’ordre de -3,2% en 2020. Le Centre vient de revoir à la baisse
cette prévision dans son dernier bulletin mensuel, paru cette semaine.
L’institution conjoncturiste table
désormais sur une décroissance de -6,2% pour l’année en cours, soit un scenario
beaucoup plus pessimiste que ceux établis par le gouvernement dans le projet de
loi de finances rectificative (-5%), par la Banque centrale (-5,2%), la Banque
mondiale (-4%) et le Haut-Commissariat au Plan (-5,8%).
Au moins trois éléments ont présidé
à la révision à la baisse de la prévision de croissance de l’économie
nationale.
Le premier est relatif à l’évolution
inquiétante de la situation épidémiologique au niveau mondial, marqués par la
flambée de la pandémie aux Amériques, en Inde et l’émergence d’importants
clusters dans les autres régions, alors que les hypothèses les plus pessimistes
tablaient sur un recul de ce phénomène épidémiologique au court du mois de
juillet.
Le deuxième élément est lié à l’exacerbation de la récession de l’économie
mondiale qui a pris de court bon nombre de prévisionnistes et surtout la
déprime qui a enfoncé les économies des principaux partenaires du Maroc. «Le
taux de croissance mondiale estimé à -3% en avril se trouve aujourd’hui
foncièrement rétracté de 2 points soit à un niveau de -5%», estiment les
analystes du CMC. Le commerce mondial chuterait, lui, de 11% en 2020.
Le troisième enfin, est liée à la
loi de finances rectificative 2020 (LFR). Les économistes du CMC ne sont pas
tendres avec ce budget rectificatif, élaboré et voté en un temps record au
cours du mois de juillet dernier. Ils jugent en effet que l’orientation
budgétaire prise par la LFR, à savoir le maintien d’un certain équilibre des
finances publiques, va «à contre-sens» des besoins de l’économie nationale qui
vit la pire récession de son histoire.
Une loi de finances rectificative
«timide» et à contre-sens
«En de similaires fortes récessions,
la politique budgétaire devrait être ponctuellement audacieuse pour réparer en
partie les dégâts causés par la pandémie du corona virus au tissu économique
national et apporter un fort appui à la demande finale qui souffre
péniblement», estiment les analystes du CMC. Ces derniers déplorent que le
gouvernement ait cherché à préserver les «sacrosaints» équilibre des finances
publiques, alors même que «la majorité des états de la planète ont dérogé aux
règles de prudence budgétaire en matière de déficit et d’endettement de manière
ponctuelle», pour protéger les emplois et revenus des travailleurs et pour
soutenir les entreprises en difficulté.
Le CMC rappelle à ce titre qu’en
dehors des actions d’investissement programmées dans le cadre du «Fonds spécial
pour la gestion de la pandémie du coronavirus», financé à plus de 60% par les
contributions bénévoles des institutions, entreprises et personnes physiques,
les engagements initiaux prévus par la loi de finances 2020 ont été révisés à
la baisse.
Dans un tel contexte, le
gouvernement aurait été mieux inspiré de mettre en place une politique
budgétaire plus agressive, associée à un engagement de grande ampleur par le
lancement de chantiers d’envergure à travers le budget. En outre, l’austérité
programmée des dépenses ministérielles va avoir pour conséquence une baisse de
la commande publique qui ne jouera pas son rôle de levier auprès du secteur
productif.
Le CMC reconnaît pourtant que la
situation relative aux ressources est «particulièrement désastreuse». Les
recettes du budget général (hors recettes d’emprunts) ont en effet connu une
diminution de 44,7 milliards de dirhams soit environ -17,4% par rapport à ce qui était prévu.
Cependant, affirme-t-il, en dépit de la pression exercée par la crise sur les
marchés financiers, des marges de manœuvres pour l’économie nationale existent
et restent explorer sans mettre les équilibres financiers en danger.
Et de conclure, sans ambages:
«l’Etat, à travers ce projet de loi de finances rectificative, s’est délesté du
rôle économique qui lui est dévolu en pareille récession».
Et pour 2021, les analystes du CMC
s’attendent à un taux de croissance du PIB en termes réels de 5,5%. Une
performance de bon augure? Pas vraiment, estiment-ils, ce résultat ne constitue
en réalité qu’un simple «relèvement des activités permettant pour certaines de
retrouver le palier du potentiel de croissance de 2019». Pour 2022, le CMC projette un taux de
croissance de 4,1%.